Sur demande de Sierre-Anniviers Tourisme, j’accompagnais le 23 octobre 2018 deux journalistes de “Couleurs Locales” sur le site de la Pierre des Sauvages à St-Luc. Diffusé le 8 novembre, le reportage de deux minutes affleure à peine ce que nous savons de cette curiosité passionnante. Je tiens à apporter quelques précisions, et regroupe ici les liens et sources qui fondent mon approche du sujet. C’est la vision d’un conteur local, mais pétri de rationalisme qui préfère ne laisser à l’imagination que ce que la science n’explique pas.
Commençons par décortiquer le dit du lieu: “La Pierre des Sauvages de St-Luc”. Jusqu’en 1871 le village s’appelait Louc, c’est le premier postier qui proposa de renommer l’endroit St-Luc pour le différencier, en particulier, de Luc près d’Ayent. Le nom vient du latin lucus, “bois sacré; forêt, bois”, issu du gaulois lucos, “taillis, clairière, bois sacré”. Quand au terme “sauvages”, il vient également du latin médiéval “sylvatica” de “sylva”, la forêt – ce qui qualifie ou est en rapport avec la forêt. Nous sommes donc sur la pierre des habitants de la forêts, dans leur bois sacré. Pour l’étymologie des noms de lieux en Romandie, je me réfère au site henrysuter.ch.
On trouve de nombreuses pierres à cupules en Suisse, celle de St-Luc et la plus grandes. On sait que les cavités ne sont en aucun cas naturelles, elles ne semblent pas faites pour recueillir du liquide car nombre d’entre-elles sont trop verticales. La découverte d’offrandes ou de tombes à proximité attestent de lieux de culte. Lors de la construction de l’hôtel Bella Tola on a découvert près d’une pierre creusée des vestiges archéologiques, sépultures et offrandes, datés du VIème siècle avant au IIème siècle après J-C. A part ces chiffres qui donnent un ordre d’idée, les pierres à cupules sont difficiles voire impossibles à dater. On sait par le site du Petit Chasseur à Sion la richesse des croyances et du culte à l’époque préhistorique en Valais. Le dénigrement ou l’appropriation des sites par le christianisme conquérant atteste aussi d’un lien avec l’ancienne religion. Suivez ce lien vers le pdf Historique de l’hôtel Bella Tola.
Jusqu’au XIXème, des légendes persistantes ont porté la mémoire des pierres à travers les siècles. Qu’elles soient des “Sauvages”, des “Martyrs”, des “Fées” ou du “Sacrifice”, les pierres creusées rappelaient l’époque terrible d’avant l’arrivée des missionnaires. De nombreuses versions existent sur la Pierre des Sauvages, chaque fois la roche massive prête à anéantir le village corrompu fut séparée en trois par la grâce divine. Retrouvez en pdf la version la plus populaire.
Dès le XIXème siècle, des esprits intrigués plus éclairés décrirent les pierres et osèrent quelques hypothèses. Ici en pdf Les monuments mégalithiques du Val d’Anniviers par Spahni. Récemment, Jean-Louis Claude de Zinal publiait une série d’articles sur le sujet dans le journal local “les quatre saisons d’Anniviers“. On trouve une série de pierres réunies dans un site d’importance national à Grimentz, retrouvez ici dans un pdf de piètre qualité une description du site de l’Îlot-Bosquet. J’avais déjà publié sur ce blog quelques légendes de Grimentz.
Voici d’autres liens intéressant: Une description de la Pierre des sauvages sur le site d’Anniviers Tourisme , les Pierres à Cupules sur le site archéologie-anniviers.ch , La pierre d’Ayer sur le sentier nature Zau-Zoura avec une page de liens.
J’aimerai rajouter un témoignage qui vient de feue ma grand-tante Mariette d’Ayer. Selon elle, on trouvait à Grimentz une pierre foncée creusée de cupules qui chauffait au soleil. On y mettait macérer un mélange de beurre et d’euphraises, puis on se servait de l’onguent pour soigner les yeux. Plus tard on bâtit sur le site une chapelle dédiée à St-Léger, un martyr auquel on avait crevé les yeux et qu’on priait pour les problèmes oculaires. On l’appelle l’oratoire du Carrovilla. Un lien entre les anciennes croyances et le christianisme?
C’est mon âme de conteur qui conclut cet article. Souvent invité à m’exprimer sur la Pierre des Sauvages ou à l’ìlot-Bosquet, je n’ai jamais senti une quelconque énergie tellurique me picoter les orteils. Mais ces pierres dominent souvent des emplacements propices aux réunions. Le poids des blocs ajouté à celui des millénaires, la force des mythes traversant les siècles d’oreilles à bouches de conteurs, le mystère de croyances à jamais perdues; tout en ces lieux renforce la magie des histoires d’autrefois. Quand je prends mon souffle avant d’accaparer de jeunes oreilles saturées de médias pour ne faire que… parler sur un caillou… je sens et je sais n’être que le suiveur d’une longue tradition. J’ai aimé l’exercice intellectuel d’Etienne Klein dans cette vidéo sur la persistance du passé; à la fin de la réflexion il déclare “On peut considérer que le passé a été littéralement néantisé, ou bien au contraire qu’il est définitivement immortel”.